La force d’un régime policier réside dans sa capacité à restreindre les libertés et à maitriser la gouvernance de pitance, sans que l’ombre d’un soulèvement à court, à moyen ou à long terme ne se pointe à l’horizon. Engranger les lauriers sans visibilité réelle, sans aucune traçabilité dans la quête des résultats, est la stratégie gagnante à entretenir, car elle permet à coup sûr de renforcer le pouvoir du prince et de ramener tous les malheurs de la République à sa seule table. La seule évocation de son nom doit apparaître dans le subconscient de chacun comme la solution spectro-spirituelle à l’ensemble des problèmes posés, d’où qu’ils viennent. Cette approche a la « chance » de ramener tout le pays au seul palais de l’unité qui doit tout régenter.
Le football comme la culture à travers le droit d’auteur et le droit voisin du droit d’auteur, deviennent des instruments de gouvernance dont la santé est à la merci du prince, qui dans une approche perpétuelle de son pouvoir, fait des acteurs des marionnettistes qui doivent absolument être mis en branle pour exister. Non pas par leurs propres initiatives, mais par la volonté du « caput » à travers ses « notables ». Dans ce schéma, ces acteurs deviennent très peu enclins à une autonomie qui les émanciperait.
Ndédi Eyango obéit-il vraiment à ce schéma, lui qui, de l’avis de nombreux observateurs, a été élu au cours d’un scrutin à tout le moins crédible comme on en voit rarement au Cameroun ? La double nationalité discutée au lendemain de son élection n’est-elle pas un cheval de Troie introduit pour le mettre en minorité et y positionner un « bon élève » ? N’est-on pas en train d’exclure, à travers un artiste, des millions de Camerounais dont le crime béant est d’avoir choisi de servir au dehors, le Cameroun ?
Le processus électoral à la SOCAM : un crime de lèse majesté !
Les politiques aiment à se rassurer que les Hommes qui animent les institutions de la République n’échappent aucunement au contrôle que leur confère le ad nutum. A majeure raison lorsqu’elles relèvent des instruments de gouvernance dilatoire, qui ont l’avantage de distraire et surtout de divertir le peuple quand il n’y a plus de solutions immédiates aux problèmes existentiels.
Il faudrait faire une brutale incursion dans l’alter égo du droit d’auteur et du droit voisin du droit d’auteur pour mieux cerner de quoi il est exactement question ici. Le régime du renouveau à qui on a toujours reproché de récupérer les victoires sportives sans se préoccuper de les inscrire dans la durée, a fait le choix de mettre les fonds publics dans le football, à travers la ligue de football professionnelle embryonnaire. Bien évidemment, il n’aurait pas mis autant d’argent dans le démembrement d’une association qu’il ne contrôle pas assez à cause de l’omniprésence de la dérangeante FIFA.
Le général Pierre Semengue dont on connaît la rigueur, est choisi pour contrôler la manne financière et entre autre restaurer la « discipline » qui manque le plus dans la famille football. Dans sa volonté de bien faire et même de parfaire, il annonce le jour de son installation que lui et tous ses collaborateurs vont déclarer leurs biens au moment où Paul Biya qui l’a élevé au perchoir, rechigne à mettre sur pied toutes les dispositions relatives à l’application de l’article 66 de la constitution. Au moment où toute la presse, la société civile et l’ensemble des amis du Cameroun font pression sur le chef de l’Etat afin qu’il applique cette article qui serait pour tous, le point saillant d’une réelle volonté de lutte contre la corruption.
Cet acte du général est perçu comme une défiance au sein de l’establishment gouvernement. Le général veut déclarer les biens là où Paul Biya refuse de le faire. Ceux qui connaissent la fermeté « du militaire » savent qu’il n’aurait reculé que parce qu’il aurait sérieusement mis en colère le prince. Iya Mohamed qui l’installait ce jour, le lui a d’ailleurs clairement signifié avec un zeste d’humour, qu’il avait ramassé le cailloux l’oiseau a vu. Finalité des courses, ni lui, ni aucun de ses proches collaborateurs n’a déclaré ses biens. Le général a oublié qu’il occupait désormais un poste éminemment politique, dans un environnement où l’envoûtement à la « dévotion chefale » est sanctuaire autant que la chapelle.
Au regard de ce qui précède, on peut, sur le plan de l’analyse, en faire un lien avec le processus électoral à la SOCAM. Il est important de rappeler que la fraude électorale tant décriée de tous, a elle aussi connut sa modernisation et a subi des mues. S’il n’est plus possible de bourrer les urnes parce qu’elles sont devenues transparentes, de faire des votes multiples face à « l’encre indélébile », les doublons avec le fichier biométrique, il faut avouer tout de même que la fraude existe toujours. Elle devient plus scientifique. L’achat des consciences et surtout les transactions financières à la fin du vote sont plus difficiles à éradiquer dans un contexte de paupérisation généralisée. C’est dans cette optique que le bulletin unique a été proposé par la plateforme nationale de la société civile aux différents scrutins au Cameroun. Elle a l’avantage de ne pas permettre aux électeurs de sortir avec les bulletins des candidats pour qui ils n’auraient pas voté.
L’élection du PCA de la SOCAM en novembre dernier a symboliquement montré qu’il est possible si on le veut de rendre plus transparent tout processus électoral. C’est donc la première fois qu’au Cameroun, au cours d’une élection au sein d’une association (institution) sous la tutelle de l’Etat, on utilise le bulletin unique. C’est malheureusement ici que le bas blesse. La Commission permanente de médiation et de contrôle qui est un organe politique, a pris sur elle, dans un environnement où l’opacité règne en maître, d’introduire le bulletin unique au cours d’une élection aussi courue et aussi sensible. Cette initiative bien que louable pourrait être perçue par les apparatchiks du régime, comme un crime de lèse majesté. Qui connait le fonctionnement de l’Etat au Cameroun, ne parierait guerre que cette élection soit une offense à chef d’Etat, comme ce fut le cas dans l’exemple LFPC.
Eyango, célèbre dans le monde du show-biz, risque de ne pas avoir le « corps docile », dans un contexte où le pouvoir se nourrit de l’embrigadement des œuvres de l’esprit et donc du savoir. Ndédi Eyango est-il connu comme militant du parti au pouvoir ? A-t-il jamais sympathisé avec le RDPC ? Qui lui reconnaît un soutien indéfectible à Paul Biya ? A-t-il un parrain dans la nomenklatura gouvernementale ? Qui lui a dit qu’il suffit d’être brillant, aimé et porté au perchoir pour gérer chez-vous ? Savait-il, avant d’être candidat, où se donnait l’agrément ?
C’est pour ainsi dire l’histoire d’un PCA bien élu qui est appelé à côtoyer des personnes impopulaires avec une bonne marge de manœuvre et qui risque de sortir les artistes de la misère, les rendre indépendant et donc plus susceptibles de jouer véritablement leur rôle. Celui de l’oiseau rare du soir qui regarde la société et son système de gouvernance d’un œil plus adroit. Et ça ! On n’aime pas beaucoup à Yaoundé.
La double nationalité, un paravent qui étonne
Qui peut lever la main et jurer qu’il n’a jamais trinqué au rythme de « you must calculate » et de tous les autres tubes à succès de Ndédi Eyango ? Le problème que pose sa double nationalité, va loin au-delà des artistes musiciens qui, lasses de voir leurs conditions de vie s’améliorer avec la piraterie entretenue, partent chercher fortune ailleurs. Il s’agit en toile de fond d’une approche discriminatoire de la gouvernance dans un pays où le seul fait de quitter son pays vous ôte toute possibilité de retour volontaire. Elle est d’autant plus discriminatoire et contre-productive qu’elle trie sur le volet parfois des médiocres et rejette les meilleurs, ceux-là même qui sont allés à l’école du savoir et qui pèchent par le simple fait de n’avoir pas choisi de mettre la balle entre deux poteaux pour plaire aux politiques et leurs permettre de conforter leur strapontin, de n’avoir pas choisi pendant leur exil d’infiltrer les charters pour aller applaudir Paul Biya pendant ses séjours helvétiques.
Ndédi Eyango était déjà connu de tous avant de quitter son pays. A la différence de Thierry Michèle Atangana et autres Lydienne Eyoum… qu’on a connus généralement au moment où ils étaient adoubés par les politiques, qui les ont fabriqués sans qu’aucun Camerounais ne sachent réellement qui ils étaient et quels étaient leurs parcours. Sans qu’aucune enquête préalable n’ait été faite. A la différence de ceux-là, le PCA mis à l’index est bien élu et donc accepté de ses pairs.
C’est une discrimination qui montre bien que la loi de 1968, portant définition du code de la nationalité au Cameroun s’applique à la tête du client. La crainte du refuge derrière la seconde nationalité après détournement ne nous semble aucunement justifiée car la lutte contre la corruption ne peut pas résider exclusivement dans le reclus diplomatique, du moment où on connait des dizaines de Camerounais soupçonnés de corruption qui sont en exil aujourd’hui. C’est donc une approche très discriminatoire.
Discriminatoire aussi parce qu’on tolère ceux qui ont la même double nationalité et qui soutiennent le régime. Il occupe des hautes fonctions au sommet de l’Etat et se sont même permis d’aller voter au cours des élections dans les chancelleries de leurs secondes patries. Que dire des footballeurs ! Sont-ils plus camerounais, eux qui pour la plupart quittent le Cameroun dans un total anonymat, quand ils ne sont pas tout simplement nés ailleurs ? Si elle est utile, la joie qu’ils nous apportent le temps d’un match, la musique à travers les créateurs des œuvres de l’esprit nous en apportent davantage tous les jours de nos vies.
Discriminatoire encore parce que, lorsque Longue Longue qui menace de se suicider si sa demande d’extradition vers le Cameroun n’est pas prise au sérieux, a bénéficié au dire de la presse de l’attention du gouvernement. Pourtant, il est marié à dame Mbassi, de nationalité française. L’artiste reconnait lui-même qu’il s’agissait d’un mariage de complaisance dont la seule finalité était l’obtention de ladite nationalité. La prise au sérieux de ce dossier qui nous semble à tout le moins citoyen, introduit quand même une variable. Celle relative au comportement de la France dans le suivi du dossier Thierry Atangana.
Discriminatoire ensuite parce qu’il est impossible de renoncer à une nationalité en 10 jours, puisqu’on ne l’obtient guère dans le même intervalle de temps. Renoncer à une nationalité peut ainsi prendre plus de temps qu’on ne l’imagine parce que les autorités voudraient bien comprendre comment une nationalité, notamment celle américaine que l’oncle de Barak Obama a du attendre plus de deux décennies pour l’obtenir, peut être, pour ainsi dire abandonnée. S’auto-déchoir de sa nationalité pourrait être perçu comme une défiance et dans le cas d’espèce nécessiter plus d’enquêtes.
Sauf à penser que le Minacult est incompétente, il apparait plus clairement qu’elle a agi avec le « feu aux fesses », au terme des pressions comme seul le Cameroun a le secret. Cette panique pourrait d’ailleurs justifier le fait que sa lettre de mise en demeure ait transité par les bars et autres milieux mondains, avant même de parvenir à l’intéressé. Quand on a des doutes sur un processus électoral ayant conduit à l’élection d’un candidat, quand on a des preuves que le processus a été émaillé de graves irrégularités, quand on émet des réserves sur la qualification du dossier d’un candidat, on n’admet pas qu’il participe à la compétition et surtout, on ne l’installe pas.
L’affaire Ndédi Eyango remet au goût du jour, entre les mains du régime en place, la patate inutilement chaude qu’est le vieux et déshonorant code de la nationalité dont l’application constitue l’une des plus graves discriminations et une atteinte aux droits de l’Homme, que le Cameroun moderne n’ait jamais perpétrées à l’endroit de ses fils, qui ne demandent qu’à rentrer librement servir et apporter leurs expertises dans les divers domaines qui sont les leurs.
Quand la fine crème des juristes camerounais, membres du comité de normalisation, se retrouve à Zurich pour défendre les cas Joël Matip et Choupo Moting, on comprend aisément jusqu’à quel point la discrimination, sous le couvert de la tolérance administrative, jonche le quotidien de nos dirigeants. On comprend jusqu’à qu’à quel point les jeux sans enjeux nous occupent et nous hantent au point d’occulter les vrais débats qui peuvent nous amener vers l’émergence tant rêvée de tous. Quand Ndédi Eyango est au Etats-Unis, c’est la culture camerounaise qu’il vend à travers PREYA MUSIC. C’est le label Cameroun qu’il exporte. Il serait incongru de l’écarter de la gestion de la chose publique et de béatifier des footballeurs qui nous apportent certes du plaisir, mais un plaisir très souvent de très courte durée.
Le rejet d’Eyango pourrait sonner davantage le glas de la division et de la haine entre ceux de l’intérieur et ceux qui n’ont eu pour seul malheur, que de sortir chercher des jours meilleurs. Apprenons parfois à nous interroger sur les réelles motivations des fronts anti-Biya en Occident. Nous pourrions un jour, nous apercevoir au besoin, que c’est pour ainsi dire, le plus grand corolaire de cette politique de rejet à tête chercheuse.