Le Chef de l'Etat a déjà concocté des mouvements de dirigeants à tous les niveaux de l'appareil d'Etat.
Les dégâts du dernier discours de vœux du Chef de l'Etat à la nation s'annoncent à la fois dévastateurs et douloureux pour beaucoup, dans le sérail. En dénonçant, de manière particulièrement vigoureuse, le règne des intérêts égoïstes au sein de l'équipe dirigeante, Paul Biya n'usait nullement de l'incantation ou de l'invective stérile. Il a évoqué «un peuple d'individualistes, plus préoccupés de réussite personnelle que d'intérêt général», d'une «administration «perméable à l'intérêt particulier», «plus souvent incompatible avec l'intérêt de la communauté nationale».
Il s'agit en effet, d'un cri de dépit contre une «dérive qui ne doit pas être tolérée» et qui, apprend-on, va se traduire dans les prochaines heures, par un véritable tsunami à tous les niveaux de l'appareil. Un remaniement, mieux, une réorganisation du gouvernement semble plus que jamais imminent. Avant ce coup de sang présidentiel, un fait, qui semble passé inaperçu, était pourtant déjà de nature à alerter l'opinion sur l'état d'esprit du locataire du Palais de l'unité. Le 20 décembre dernier, Paul Biya a longuement reçu le Premier ministre Philémon Yang.
En lieu et place de l'habituel passage en revue des faits marquants, les deux hommes ont procédé à une sorte d'inventaire de la politique des «Grandes réalisations». Pour être plus précis, le Chef de l'Etat a reproché à son interlocuteur son manque de vigueur et d'autorité. Le Pm, affirment des témoins, a quitté les lieux la queue (presque) entre les jambes, sentant clairement arriver une sanction attendue cette semaine, et qui est appelée à s'étendre jusqu'à des strates insoupçonnables.
Autre indice, et non des moindres: soucieux de repartir avec une nouvelle équipe, le Président de la République a fait reporter la traditionnelle cérémonie de présentation de vœux des corps constitués. Initialement prévue vendredi 3 janvier 2014, elle devrait finalement se tenir ce jeudi au Palais de l'unité. Ce report confirme ainsi les informations que nous donnions déjà, en exclusivité, dans notre édition du 30 décembre 2013.
Au départ de cet échec ressenti, Paul Biya dispose actuellement de notes de renseignements qui pointent des détournements de marchés publics et autres projets par certains dirigeants, au profit de leur intérêt personnel. Il y a cette curieuse inertie à monter des projets, à les attribuer et à en suivre la réalisation alors que des financements existent et ne demandent qu'à être utilisés. La preuve en est donnée dans cet extrait du discours: «Comment expliquer qu'aucune région de notre territoire ne puisse afficher un taux d'exécution du budget d'investissement public supérieur 50% ?». Et le Président de s'interroger sur «l'utilité de certaines commissions de suivi de projets, qui ne débouchent sur aucune décision».
En clair, rien ne va parce que les «Grandes réalisations» sont compromises. Autre démonstration de ce sabotage généralisé: le taux de croissance est resté coincé à 4,8%, là où le gouvernement tablait sur 6,1%. L'alerte est pourtant donnée depuis des mois, à travers les rapports successifs de la Banque mondiale (Bm), de la Banque africaine du développement (Bad) et du Fonds monétaire international (Fmi) qui ont régulièrement déploré l'immobilisme, la sous-consommation des crédits ainsi que les dérapages budgétaires.
Soigner les maux par des mots
Une question vient directement à l'esprit, après le discours de Nouvel an de Paul Biya et le constat d'échec de la mise en œuvre de la politique des «Grandes réalisations»: comment en est-on arrivé là ? La réponse est contenue dans cet extrait du discours du Chef de l'Etat: «Nous avons encore, sans aucun doute, des marges de progression pour améliorer l'efficacité de notre politique économique. Nous disposons d'une stratégie pour la croissance et l'emploi qui indique la voie à suivre pour atteindre nos objectifs. Mais d'où vient-il donc que l'action de l'Etat, dans certains secteurs de notre économie, paraisse parfois manquer de cohérence et de lisibilité? Pourquoi, dans bien des cas, les délais de prise de décisions constituent-ils encore des goulots d'étranglement dans la mise en œuvre des projets»?
En faisant l'effort de sortir de la logique démagogique, on peut se permettre quelques explications rationnelles. Il s'agit, d'abord, de constater que le Cameroun veut aller à l'émergence avec un gouvernement pléthorique, avec parfois des départements dont les missions se chevauchent et deviennent la première cause des blocages. Et donc de l'inertie. Cet état de choses dure depuis 10 ans, là où l'obligation d'efficacité commande une équipe ramassée; un gouvernement de combat nullement compatible avec un contingent hétéroclite.
En plus, et ainsi que les observateurs avertis le déplorent, le ronronnement de l'équipe Yang se traduit, tous les mois, par un communiqué des plus soporifiques sanctionnant les sessions du Conseil de cabinet. En réalité, rien de déterminant, démontrant ou montrant un collectif engagé à sortir le Cameroun du bourbier.
A côté de ceci, les fameuses «feuilles de routes» ministérielles, annoncées à grand renfort de publicité et censées faciliter la cohésion dans l'action, sont tombées dans l'oubli après avoir alimenté les espoirs les plus fous. Sans oublier que le Conseil ministériel, connu pour être l'organe d'évaluation, de sanction et de redécolle, ne s'est plus tenu depuis plus d'un an. Comment, dans ce cas, compter atteindre des performances avec des responsables qui ne sentent aucune obligation de rendre compte?